Du 5 au 10 juin dernier se tenait le 65e congrès de la Confédération des syndicats nationaux (CSN) au Palais des congrès de Montréal sous le thème « Voir loin, viser juste ». Dix membres du SCCCUM[1] ont participé à cet événement de grande ampleur auquel ont pris part un peu plus d’un millier de délégués. On doit dire, d’entrée de jeu, que la CSN est une grosse machine avec ses 300 000 membres affiliés à 1 600 syndicats (dont le nôtre) regroupés en huit fédérations sectorielles (dont la FNEEQ) et en 13 conseils centraux régionaux (dont le CCMM)[2]. Le congrès constitue en quelque sorte l’assemblée générale, réunie tous les trois ans, des syndicats, fédérations et conseils centraux.
Pour qui n’est pas un régulier du milieu syndical, un léger choc culturel est à prévoir: entre les appels aux « camarades », le récurrent et bien senti slogan « so, so, so, solidarité », le rappel des luttes héroïques de la classe ouvrière (des grèves et lockouts) ou le formalisme des débats avec amendements, puis sous-amendements, il y a de quoi surprendre. Et puis, à mettre des militants issus de la santé, de l’éducation, du commerce, des communications, des services publics, de la construction et de l’industrie manufacturière ensemble, il y a parfois des tensions entre ceux et celles qui veulent débattre plus longtemps et d’autres qui veulent agir tout de suite… Néanmoins, tout ceci ne doit pas masquer l’importance du rassemblement puisque la CSN occupe une place unique au sein de la société civile québécoise en tant que mouvement non seulement porteur d’un projet de solidarité entre travailleurs et travailleuses, mais aussi pour la société entière. En bref, il s’agit d’un des espaces où se pense un autre monde possible comme en témoigne la présence d’une vingtaine d’invités internationaux.
Mais que retenir de cet événement du point de vue du contenu? Trois éléments me semblent centraux : la discussion sur la vie syndicale, l’adoption du budget et enfin l’adoption du manifeste Voir loin, viser juste.
Réforme Barrette, votes d’allégeance et vie syndicale
Le congrès s’est ouvert sur un problème de fond : celle du départ de près de 22 000 membres suite à la campagne de réaffiliation syndicale provoquée par la réforme Barrette (loi 10). En effet, la reconfiguration du réseau autour de 28 établissements (au lieu de 180) a aussi eu pour conséquence d’obliger une réorganisation en profondeur des accréditations syndicales[3]. S’est donc posée de diverses façons la question : pourquoi des milliers de membres ont-ils choisi de quitter la CSN pour rejoindre l’APTS ou la FIQ en avril dernier, deux organisations syndicales nettement plus corporatistes qui n’offrent ni la même autonomie ni le même projet social? Plusieurs hypothèses ont été avancées, dont la distance entre les exécutifs syndicaux et les membres, les résultats mitigés dans la dernière négociation dans le secteur public, le coût plus élevé des cotisations à la CSN, une époque où l’individualisme ambiant rend moins interpellant son projet syndical, la capacité de l’APTS et de la FIQ à s’adresser aux différentes catégories de professionnels de la santé dans leur langage. Au final, c’est la première raison qui a surtout été retenue en congrès, donnant lieu à une discussion sur l’état de la vie syndicale d’où est issue une proposition visant à faire une consultation régionale de tous les syndicats à l’automne afin de mieux mesurer leurs besoins et la façon d’y répondre.
Un budget sous le signe de l’austérité
Au-delà du questionnement sur la vie syndicale, c’est du côté budgétaire que le départ des 22 000 membres s’est fait le plus sentir avec un manque à combler de 7 millions de dollars sur trois ans (une décroissance de 2,8% des per capita, soit la part de la cotisation syndicale qui va à la CSN). Il fallait couper, mais où ? Dans la continuité du comité précongrès, il a été décidé (1) d’augmenter les prestations de grève, de lock-out et de congédiement, (2) de maintenir au même niveau les mesures d’appui direct aux syndicats et (3) de maintenir au même niveau la péréquation versée aux fédérations et aux conseils centraux de la CSN. C’est donc dans le personnel que les compressions ont été surtout dirigées, en particulier dans le service d’appui aux mobilisations et à la vie régionale avec près de 11 postes coupés (et un demi créé) et dans le service d’appui aux relations de travail avec 11 postes coupés (et 1,5 créé). Plusieurs tentatives d’amendement ont été introduites, notamment dans l’espoir de préserver des services professionnels considérés essentiels à la vie syndicale en région, mais sans succès… Sur l’ensemble des amendements sur le budget soumis, seul celui préservant le poste de l’ergothérapeute a été adopté, ce qui n’est pas nécessairement un signe de bonne posture dans le rapport centre/région !
Le manifeste Voir loin, viser juste
Sur une note plus mobilisante et positive a été dévoilé et adopté le manifeste Voir loin, viser juste[4] qui sert également de base de revendications de la Confédération pour les trois prochaines années. Ce manifeste s’articule autour de cinq axes. Le premier, « Pour sécuriser le revenu tout au long de la vie », implique une réforme majeure de la Loi sur les normes du travail, l’adoption du salaire minimum à 15$/heure et une bonification du Régime des rentes du Québec. Le second, « Pour développer l’économie et créer des emplois de qualité », implique une valorisation du droit à la formation continue et au perfectionnement la vie durant, l’adoption d’une politique industrielle permettant la relance du secteur manufacturier et le renforcement de la participation de la société civile dans le développement régional. Le troisième, « Pour consolider les services publics », implique d’accroître les revenus de l’État en misant sur la lutte contre l’évasion fiscale, l’instauration d’un impôt minimum pour les entreprises et l’ajout de paliers d’imposition pour les mieux nantis. Le quatrième, « Pour lutter contre les changements climatiques », implique autant d’adopter un plan d’action permettant une transition énergétique juste qui ne se fasse pas aux dépens des moins fortunés qu’une stratégie gouvernementale encourageant les entreprises à y arriver. Et enfin, le cinquième, « Pour renforcer la démocratie », implique d’adopter un mode de scrutin proportionnel mixte pour garantir une plus grande diversité de points de vue et de réclamer un soutien financier aux médias traditionnels pour garantir l’accès à une information diversifiée et de qualité.
Nous aurons l’occasion, cet automne, de revenir en assemblée générale sur ce manifeste afin d’identifier comment il nous sera possible, comme chargées et chargés de cours de l’Université de Montréal, de faire nôtre l’une ou l’autre de ces revendications.
Michaël Séguin,
v.-p. aux relations intersyndicales
[1] Y étaient Stéphane Fauteux, Françoise Guay, Bertrand Hounkannounon, Frédéric Kantorowski, Luc Leclerc, Nadia Proulx, Benoit Robichaud, Michaël Séguin, Pierre G. Verge et Carole Yerochewski .
[2] Pour plus de détails sur la structure, la mission et le fonctionnement de la CSN, voir https://www.csn.qc.ca/notre-structure/.
[3] Pour plus de détails sur ce sujet, voir http://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1027013/syndicat-sante-quebec-apts-scn-fiq-membres.
[4] On peut télécharger le manifeste à l’adresse https://www.csn.qc.ca/65e-doc-manifeste/.