Prolégomènes
La mission du recteur se déroule bien sûr dans la foulée de l’affaire du «mot en n», que, de notre point de vue, on peut résumer ainsi : pour avoir prononcé ledit mot en toute pertinence et en toute bienveillance dans son cours, une chargée de cours a subi des attaques de la part d’étudiant(e)s se réclamant de la lutte antiraciste. Au lieu de défendre comme il se doit les libertés universitaires et la personne de sa chargée de cours, son université l’a blâmée et sanctionnée en prétextant le malaise (supposément) éprouvé par des étudiant(e)s. Voilà de quoi inquiéter toutes les personnes chargées de cours. Et donc, si elles et ils se réjouissent de la création de la mission du recteur, nos membres s’attendent surtout à ce qu’elle ne soit pas une consultation de façade et à ce qu’elle débouche sur des mesures concrètes pour la défense des libertés universitaires. En attendant, remercions le recteur de s’être porté publiquement à la défense de celles-ci.
Recentrer notre réflexion
Que je sache, il n’y a pas eu dans notre université le moindre cas d’utilisation malveillante d’éléments de savoirs par des enseignant(e)s pendant des cours. Ce qu’il y a eu, toutefois, ce sont des tentatives étudiantes pour censurer des éléments de contenu de cours. J’invite donc le comité à examiner la question par le bon bout de la lorgnette, c’est-à-dire à ne pas mettre l’accent sur l’exercice «raisonnable» de la liberté d’expression par les enseignant(e)s, mais plutôt sur la nécessité de prévenir la censure et de protéger les libertés universitaires. Certes, les tentatives de censure étudiantes s’avèrent le plus souvent pétries de bonnes intentions, mais leurs conséquences potentielles n’en sont pas moins graves pour la construction et la transmission des savoirs, de même que pour le travail des enseignant(e)s, à commencer par les chargé(e)s de cours. La censure est censure, quelles qu’en soient les prétentions.
Adopter un énoncé sur les libertés universitaires qui est complet et équilibré
Le SCCCUM recommande l’adoption par l’Université de Montréal d’un énoncé de principes complet et équilibré sur la question des libertés universitaires. On trouve dans le document «Hypothèses soumises par le recteur…» une solide analyse juridique qui peut servir de toile de fond à la rédaction d’un tel énoncé, analyse à laquelle le SCCCUM adhère, disons globalement. Cependant, il croit que cette analyse aborde trop timidement certains aspects pratiques du sujet qui nous intéresse. Cela risque d’entraîner une certaine iniquité envers les chargé(e)s de cours. Je mettrai donc rapidement l’accent sur ces aspects, de façon à étendre le champ des hypothèses soumises à la réflexion du comité. Et puis j’énoncerai clairement les attentes des chargé(e)s de cours.
La situation et le statut des chargé(e)s de cours
Le document soumis par le recteur ne mentionne même pas le titre de «chargé(e)s de cours». Cela fait injure au corps enseignant le plus nombreux de l’Université de Montréal. Rappelons donc que :
. les personnes chargées de cours sont les premières concernées par l’exacerbation actuelle du débat sur les libertés universitaires;
. les personnes chargées de cours sont des contractuelles, et leurs conditions d’exercice, différentes de celles des professeur(e)s et des autres salarié(e)s de l’Université, les mettent souvent dans une situation précaire;
. les personnes chargées de cours sont les plus susceptibles d’être fragilisées par des attaques contre les libertés universitaires ou d’en subir les contrecoups, comme on l’a vu récemment à l’Université d’Ottawa.
Les libertés universitaires et l’ÉDI
C’est donc en se référant à des questions d’équité, de diversité et d’inclusion (ÉDI) que certains ont récemment cherché à restreindre l’étendue des libertés universitaires. Quelle étrange idée! Comme si le rôle de l’université et le rôle du militantisme social étaient antinomiques! Il faut résister – sereinement– à une telle confusion des genres, sachant que la transmission la plus complète possible des savoirs concourt à la défense de la liberté de l’ensemble des étudiant(e)s, de même qu’à leur capacité à ensuite agir socialement en toute connaissance de cause. Soyons nets : l’Université, parce qu’elle a le devoir d’agir pleinement en matière d’équité, de diversité et d’inclusion, ne saurait y trouver prétexte à restreindre les libertés universitaires des chargé(e)s de cours.
Le SCCCUM participe avec conviction aux luttes pour l’inclusion, pour la diversité et pour l’équité (ÉDI), et il sait qu’il y a beaucoup à faire en la matière. Cependant, il réfute l’idée que brimer les libertés universitaires (par les demandes de censure soutenues par le sabotage de cours, par de pressions indues, par des menaces, par la cyberintimidation, etc.) puisse soutenir le moindrement les luttes des personnes racisées, à commencer par les chargé(e)s de cours racisées. Le SCCCUM compte beaucoup de membres issu(e)s de la diversité; davantage que d’autres syndicats. La contractualité explique en partie ce fait, croyons-nous, et il y aurait beaucoup à en dire, mais quoi qu’il en soit, en tant que corps enseignant discriminé incluant des personnes discriminées, les chargé(e)s de cours trouveraient pour le moins ironique de se faire faire la leçon en matière d’inclusion.
Le rôle crucial de l’enseignant(e)
Parlons du rôle d’enseignant(e), le principal rôle des chargé(e)s de cours. Ce n’est pas une mince affaire, on le sait, que de veiller à la transmission de savoirs complexes et de permettre l’échange respectueux de points de vue sur ces savoirs. Surtout quand ceux-ci sont susceptibles de toucher des cordes sensibles ou de secouer des préjugés. Imaginez-vous donnant un cours de sciences humaines intitulé «Histoire du racisme dans la littérature nord-américaine». Pour y arriver, vous devrez expliciter des discours divergents, dont certains peuvent être controversés ou choquants, et animer des échanges sur les éléments et le vocabulaire de ces discours. Pour jouer pleinement votre rôle et ne pas être sacrifié sur l’autel de la rectitude, il est absolument essentiel que vous soyez le maître dans votre classe et que les étudiant(e)s soient tenus de vous reconnaître comme tel. Il faut que, dans l’exercice raisonnable de votre autorité pédagogique et dans l’usage assuré de votre connaissance experte, vous jouissiez du soutien sans équivoque de votre université.
Les responsabilités étudiantes
Tous les membres de la communauté doivent faire leur part dans la promotion et la défense des libertés universitaires, disent les «Hypothèses soumises par le recteur…». Voilà qui est essentiel. L’énoncé de principes devra donc faire référence clairement à la part qui incombe aux étudiant(e)s dans la construction et dans la transmission des savoirs, de même que dans le respect des libertés universitaires.
La relation avec les étudiant(e)s, que les chargé(e)s de cours placent au centre de leurs préoccupations, ne saurait justifier une inféodation de la qualité de l’enseignement au désir d’affirmation des étudiant(e)s, ou encore aux luttes auxquelles certains adhèrent. L’Université doit donc protéger l’espace de la classe de la rectitude politique abusive, ainsi que des volontés de censure, et ce, sans égard aux bonnes ou mauvaises intentions de leurs promoteurs.
Les attentes du SCCCUM
Le SCCCUM s’attend donc à ce que, dans l’énoncé de principes qu’il appelle
de ses vœux, de même que dans toute suite qu’elle donnera à la présente
consultation, l’Université de Montréal :
- en évitant les ambigüités, réaffirme le caractère essentiel des libertés
universitaires, assume pleinement son rôle dans la défense celles-ci, rejette
la censure et soutienne ses enseignant(e)s menacées dans leurs libertés; - rejette comme toute autre tentative de censure celle qui prétexte la
recherche de l’équité, de la diversité et/ou de l’inclusion; - traite équitablement toutes et tous ses enseignant(e)s, et adapte ses
mesures, et ce, de façon effective, à la situation d’emploi et aux conditions
d’exercice des personnes chargées de cours; - réaffirme que l’enseignant(e) est maître dans sa classe;
- protège le cours et la classe en tant que lieux de la transmission des
connaissances; - rappelle aux étudiant(e)s leur devoir de respect et d’ouverture à l’égard du
processus universitaire de construction et de transmission des savoirs; - réaffirme le droit des enseignant(e)s et des étudiant(e)s à ne pas voir la
qualité des cours être «confisquée» par l’expression abusive du vécu, du désir
d’affirmation ou des luttes de certains; - ne tolère pas les attaques personnelles, les menaces et la cyberintimidation
à l’endroit des enseignant(e)s, et dénonce celles-ci comme étant criminelles; - appuie sans tergiverser l’enseignant(e) dont l’autorité pédagogique ou les
libertés universitaires sont menacées, et n’use jamais de mesures
disciplinaires contre l’enseignant(e) qui est dans cette situation; - prévoie la protection et le soutien diligents des personnes chargées de
cours qui subissent des attaques contre leurs libertés universitaires ou contre
leur personne, et ce, par des mesures qui sont adaptées à leur situation
d’emploi et à leurs conditions d’exercice.
Pierre G. Verge,
Président du SCCCUM