L’entente dans le secteur public : plus de 10% sur cinq ans ou seulement 5,25 %?

Par Carole Yerochewski

Les différentes centrales parties prenantes du Front commun (FTQ, CSN, et SISP qui regroupe la CSQ, le SFPQ et l’APTS[1] se sont félicitées de l’entente conclue à la table centrale sur les salaires, considérant, comme le gouvernement, qu’elles atteignaient plus de 10% sur 5 ans. Plusieurs protestations se sont élevées immédiatement dans les rangs syndicaux affirmant que c’était seulement 5,25 % qui était garanti. C’est pour cette raison que la FSSS, qui représente à elle seule le quart des salariés couverts par le Front commun, a refusé de recommander l’entente à ces membres, et veut poursuivre les négociations, estimant que pour la troisième convention collective de suite, ses membres employés dans la santé et les services sociaux ne verront pas leur pouvoir d’achat garanti. D’où vient cette divergence dans les calculs ? Il y a là deux façons de compter. Le Front commun additionne les éléments suivants :

  • Une augmentation forfaitaire de 500 dollars pour 2015-2016, qui ne sera toutefois versée qu’à ceux travaillant (à temps complet pour l’entièreté de la somme) et qui ne sera pas intégrée à l’échelle salariale
  • Une augmentation de 1,5% en 2016-2017
  • Une autre de 1,75 % en 2017-2018
  • Une autre de 2% en 2018-2019.
  • La relativité salariale en 2018-2019. Cette année-là, suite à l’exercice de relativité salariale qui consiste à réaligner des salaires en-dessous des rangs sur le rang, des catégories vont bénéficier d’augmentation pouvant aller jusqu’à 10%, toutefois sans rétroaction (alors qu’il s’agit de réajustements qui faisaient l’objet d’une multitude de griefs). Mais d’autres catégories n’auront rien du tout. C’est le cas de plusieurs catégories d’employés de la santé et des services sociaux et de certaines catégories de personnel de soutien scolaire.
  • Une augmentation forfaitaire de 250 dollars en 2019-2020 (toujours non intégrée à l’échelle salariale, donc non reproduite l’année suivante)

Voici tous les éléments qu’additionnent le Front commun, et dont les calculs sont contestés par la FSSS et la FAE* (qui a repris les négociations avec le gouvernement), et plusieurs syndicats locaux, notamment quelques-uns parmi les professeurs de cégeps (Montmorency, Ahuntsic, Marie-Victorin) qui ont refusé l’entente recommandée par la FNEEQ. Ce sont pourtant les professeurs de cégeps qui remportent le gros lot, car ils obtiennent enfin de passer du 22e au 23e rang, mais au prix de certaines injustices entre eux (voir ci-dessous) et pour des gains bien en-dessous que ce que la mobilisation – la plus importante depuis celle intervenue lors des négociations de 1972 – pouvait laisser espérer. De toute façon, font valoir les syndicats qui refusent l’entente, même en intégrant la relativité salariale – qui ne fait pas partie des conventions collectives et n’aurait pas dû être comptabilisée car elle ne fait que réparer une vieille injustice – il n’est pas sûr que le pouvoir d’achat soit maintenu si l’inflation atteint 2% l’an (ce qui est actuellement un scénario possible).

Si on ne comptabilise ni la relativité salariale, différente selon les catégories et de toute façon réparation d’une injustice, ni les augmentations forfaitaires, on retombe sur une augmentation de 5,25% sur 5 ans, qui est très loin de la demande initiale du Front commun, à 13,5 % sur trois ans.

La réintroduction de clauses dites « orphelin » ?

Dans cette négociation, ce sont les professeurs de cégeps et les infirmières qui y gagnent le plus. C’était, de facto ou du moins symboliquement, les locomotives de la lutte, et si elles et eux acceptent l’entente, le gouvernement peut avoir le sentiment d’avoir remporté la partie (la FIQ a dit accepter et c’est une majorité des assemblées générales de cégeps qui sont en train d’approuver l’entente, même s’il y a des votes discordants et parfois de faibles majorités). Martin Coiteux peut ainsi se féliciter d’avoir conclu une entente qui rentre dans son cadre financier, qui est celui des politiques d’austérité.

Les mois qui viennent pourraient être le théâtre de rebondissements. On attend les résultats des votes des membres de la FSSS. Au 22 janvier, les AG qui s’étaient prononcées rejetaient l’entente avec des majorités écrasantes (plus de 90% des votants). Les professeurs des cégeps n’ont pas dit leur dernier mot dans la lutte contre l’austérité. Et enfin, l’entente pourrait être dénoncée par des professeurs ou des infirmières parce que l’exercice de relativité réintroduit ce que l’on pourrait qualifier de clauses « orphelin », c’est-à-dire qu’elles créent des disparités de traitement à l’égard d’un groupe particulier d’embauchés, ce qui est banni par la Charte des droits et libertés. En effet, les nouveaux rangements commencent à partir du 11ème échelon pour les professeurs, et vers le 7e pour les infirmières. Autrement dit les nouveaux embauchés, plus souvent les jeunes, mettront de 6 à 10 ans pour rattraper la nouvelle échelle salariale… Et puis, autre forme de discrimination, plus diffuse : toutes celles et tous ceux qui seront partis à la retraite d’ici 2017 ne toucheront rien non plus en matière de relativité. Aucune réparation.

C’est ainsi que le gouvernement a pu rentrer dans son cadre financier. L’idée faisait son chemin depuis novembre mais elle avait d’abord été critiquée par le Front commun et même la CAQ[2] s’était élevée contre cette idée comme le rapporte le Devoir du 7 novembre 2015.[3]

[1] APTS Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux, CSN Confédération des syndicats nationaux, CSQ, Confédération des syndicats du Québec, FAE, Fédération autonome de l’enseignement, regroupe 34 000 enseignants, FIQ (Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec), FTQ Fédération des travailleuses et des travailleurs du Québec, SISP Secrétariat intersyndical des services publics (formé de la CSQ, du SFPQ et de l’APTS, SFPQ Syndicat de la fonction publique du Québec

[2] CAQ Coalition avenir Québec

[3] Voir http://www.ledevoir.com/politique/quebec/454668/caq-la-question-nationale-au-centre-du-conseil-national