La dépression et son traitement

Auteur: Mohamed Ben Amar

  1. Généralités

La dépression est un trouble de l’humeur caractérisé par de longues périodes de faible estime de soi, d’autocritique exagérée, de tristesse profonde, de solitude et de désespoir. Elle ne doit pas être confondue avec d’autres sentiments tels que la tristesse du deuil, le malheur, la frustration, le chagrin, l’affliction ou l’épuisement professionnel résultant d’un surmenage (burn out), bien que ces divers états puissent mener à la dépression. Elle peut s’accompagner d’un retard psychomoteur ou parfois d’agitation, ainsi que d’autres symptômes tels que l’insomnie ou l’anorexie. Déjà reconnue dans l’Antiquité, le terme melancolia a été employé par Hippocrate, environ 400 ans avec Jésus-Christ pour décrire ce trouble de l’humeur.  La dépression a affecté plusieurs personnages célèbres, tels que Ludwig Van Beethoven, Abraham Lincoln, Charles Dickens, Winston Churchill, Ernest Hemingway et Pierre Elliott Trudeau.

  1. Épidémiologie

La dépression est le trouble psychiatrique le plus commun chez l’adulte et peut toucher 13 à 20 % de la population. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), elle affecte plus de 350 millions de personnes dans le monde. Dans les cas les plus sévères, elle peut conduire au suicide. Elle est deux fois plus fréquente chez la femme que chez l’homme. Elle peut débuter à n’importe quel âge et de 50 à 60 % des individus qui en ont souffert manifestent des rechutes. Ce taux est particulièrement élevé lorsque la dépression n’est pas convenablement traitée.

La dépression a une composante génétique : le 1er août 2016, des chercheurs américains ont identifié dans l’ADN humain 17 variantes génétiques différentes, localisées dans 15 régions du génome, qui augmentent le risque de développer la dépression.

On estime que 5 à 25 % des patients dépressifs présentent des troubles liés à la pharmacovigilance (mauvaise administration et surveillance des médicaments ou drogues administrées), la dépression pouvant être la cause ou la conséquence de la toxicomanie (état d’intoxication résultant de la prise répétée d’une ou plusieurs substances qui aboutit à un état de dépendance physique et/ou psychologique).

Selon le degré de sévérité de l’état, on distingue la dépression légère, moyenne ou sévère. La dépression sévère s’accompagne de symptômes psychotiques dans environ 15 % des cas.

Cette complication peut justifier la prescription d’antipsychotiques sur une courte période de temps. D’autre part, dans le cas de dépression sévère, 10 à 20 % des patients finissent par se suicider. Le Québec présente le taux de suicide le plus élevé au Canada.

Le caractère saisonnier de la dépression doit aussi être pris en considération. Certaines personnes sont sujettes à faire des dépressions hivernales qui sont rarement très sévères et qui présentent des pics aux mois de janvier et de février. Elles sont caractérisées par l’hypersomnie (exagération de la tendance au sommeil), la somnolence diurne, l’augmentation de l’appétit et le besoin intense de manger du sucre. Dans ces cas, les thérapies classiques ont une efficacité limitée. Par contre, les traitements utilisant des lumières intenses à des moments déterminés de la journée ont des effets bénéfiques.

  1. Origine

L’étiologie (origine) de la dépression n’a pas été complètement élucidée. La prédisposition génétique est bien établie mais a une contribution limitée.

Selon l’hypothèse la plus communément admise, la dépression serait due à une perturbation de fonctionnement des neurotransmetteurs (substances chimiques contrôlant l’équilibre des cellules nerveuses ou neurones) dont les sérotonines, l‘adrénaline, la noradrénaline, l’acétylcholine et la dopamine. Cependant, cette hypothèse est simpliste et inconsistante. En effet, 20 à 30 % des patients ne répondent pas aux médicaments antidépresseurs et 35 % des personnes dépressives voient leur état s’améliorer avec un placebo (préparation pharmaceutique ne contenant pas d’ingrédients actifs mais qui peut manifester des effets bénéfiques sur le plan psychologique, le patient étant persuadé qu’elle lui est utile).

  1. Traitement

Il existe cinq approches principales pour traiter la dépression : la psychothérapie, la luminothérapie, les médicaments antidépresseurs, la psilocybine et l’électroconvulsivothérapie.

4.1. La psychothérapie

La psychothérapie désigne le traitement ou l’accompagnement par un thérapeute qualifié, d’une personne souffrant de problèmes psychologiques, à l’origine de la dépression, parfois en complément d’autres types d’interventions à visée thérapeutique (exemple : médicaments).  Suivant les patients (adulte ou enfant), le type de sévérité de la dépression et le contexte de l’intervention, il existe de nombreuses formes de psychothérapies qui s’appuient sur autant de pratiques différentes reposant elles-mêmes sur des approches théoriques variées. La psychothérapie repose sur l’établissement d’une relation interpersonnelle entre le patient et le thérapeute dans le cadre d’une entente explicite de soins.

4.2. La luminothérapie

Diverses études ont démontré que la fréquence et l’intensité de la dépression sont reliées au nombre quotidien d’heures d’exposition à la lumière du jour. Ainsi, la luminothérapie c’est-à-dire l’exposition à la lumière, a clairement démontré son efficacité pour combattre la dépression : plus on s’expose à la lumière du jour, plus on diminue le risque de développer la dépression.

D’autre part, des chercheurs américains de l’Université du Wisconsin-Madison viennent de démontrer que l’exposition de la peau à la chaleur de la lumière infrarouge a des effets antidépresseurs, en stimulant la production de sérotonine, l’hormone responsable de la régulation de l’humeur. Cette étude, publiée le 12 mai 2016, confirme et explique les effets antidépresseurs de l’exposition au soleil.

Les chercheurs précisent qu’en augmentant leur température corporelle, 40 % des sujets dépressifs participant à l’étude ont connu une rémission après un sel traitement. De plus, cet effet est durable puisque les sujets continuent à se porter mieux après 6 semaines de l’application du traitement.

L’expérience réalisée sur 338 volontaires classés sur une échelle de 0 à 19 selon la gravité de la dépression a consisté à exposer la poitrine et les jambes de ces personnes pendant une heure à la lumière infrarouge : leur température corporelle est alors montée à 38, 5°C. Une semaine après ce traitement, l’état de santé des 34 patients les plus sévèrement déprimés s’est amélioré en moyenne de 5,67 points sur l’échelle de référence par rapport aux 14 patients du groupe témoin qui ont été soumis à des ventilateurs et des lumières peu chauffantes en leur faisant croire que leur corps était exposé à la même chaleur que le groupe expérimental. L’effet antidépresseur est durable puisque la différence moyenne entre le groupe expérimental et le groupe témoin était encore de 4,83 points après 6 semaines du traitement initial.

4.3. Les antidépresseurs

Si la psychothérapie et/ou la luminothérapie s’avèrent incapables de soulager les symptômes de la dépression, on a alors recours aux médicaments antidépresseurs. Les antidépresseurs ont la propriété d’améliorer l’humeur et éventuellement de la faire revenir à la normale. Dans certains cas, ils entraînent une stimulation de la vigilance chez les patients souffrant de troubles dépressifs. En se basant sur leur mécanisme d’action, les antidépresseurs se classent en sept catégories. Leurs principales propriétés et effets indésirables sont résumés dans le tableau suivant.

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Il est important de noter que les effets bénéfiques des médicaments antidépresseurs ne commencent à se manifester qu’après deux à trois semaines de traitement et que le plein effet est généralement obtenu après quatre à six semaines de thérapie.

Les antidépresseurs sont des substances susceptibles d’abus et présentent de nombreux effets secondaires. Ils peuvent entraîner la sédation, la confusion, la désorientation, les troubles de mémoire, les problèmes de concentration, l’insomnie, les convulsions, les effets anticholinernégiques (sécheresse de la bouche, vision brouillée, constipation, rétention urinaire), les troubles cardiaques (arythmies cardiaques, changements à l’électrocardiogramme), l’hypertension, le gain de poids et les troubles sexuels (baisse de la libido, dysfonctions érectiles).

D’autre part, les inhibiteurs sélectifs du recaptage de la sérotonine (Celexa®, Cipralex®, Luvox®, Paxil®, Prozac®, Zoloft®) peuvent induire l’anxiété, la nervosité, l’agitation, l’irritabilité, l’agressivité, la confusion, la désorientation, des troubles psychotiques variés, les sautes d’humeur, des idées suicidaires, un comportement violent et le syndrome à la sérotonine. Dans la majorité des cas, ces symptômes disparaissent à l’arrêt du traitement sans laisser de séquelles.

Pour la plupart des antidépresseurs, l’incidence des effets indésirables est de 15 à 20 %. Elle semble être la principale raison de l’interruption du traitement chez 25 % des patients.

4.4. La psilocybine

Le 17 mai 2016, une équipe de chercheurs britanniques a publié, dans la prestigieuse revue Lancet Psychiatry, une étude effectuée sur 12 patients souffrant de dépression modérée à sévère résistante aux traitements conventionnels qui révèle que la psilocybine, présente naturellement dans certaines variétés de champignons, réduit significativement les symptômes dépressifs une semaine après traitement, ainsi que trois mois après la thérapie. Une amélioration marquée et soutenue de l’anxiété et de l’absence de plaisir fut aussi notée. La psilocybine a été bien tolérée par tous les patients et aucun effet indésirable sérieux ou inattendu n’a été observé.

4.5. L’électroconvulsivothérapie

Découverte en 1937 par Cerletti et Bini, deux psychiatres italiens, l’électroconvulsivothérapie (ECT), populairement appelée électrochocs, consiste à provoquer une crise convulsive au moyen d’un courant électrique de faible intensité (exemple : 10 à 250 milliampères) et de courte durée (exemple : 1/10 à 1 seconde). Il s’ensuit une crise tonique, puis clonique, suivie parfois d’une amnésie (perte de mémoire d’évènements traumatisants).

L’électroconvulsivothérapie permet une amélioration clinique après quelques traitements. Elle est efficace et sécuritaire si elle est appliquée par des professionnels compétents. En situation d’urgence (exemple : idées suicidaires), en présence de cas sévères ou après des échecs thérapeutiques répétés avec les autres traitements, le recours à l’électroconvulsivothérapie (ECT) est justifié.

Conclusion

La dépression est la maladie mentale la plus commune. Outre la psychothérapie, la luminothérapie et l’électroconvulsivothérapie, divers médicaments peuvent traiter celle maladie.

Les antidépresseurs sont divisés en sept grandes classes et atteignent leur plein effet après généralement 4 à 6 semaines de thérapie. Ils ont à peu près tous la même efficacité antidépressive aux doses thérapeutiques appropriées. Néanmoins, la réponse au traitement dépend de chaque patient et de chaque médicament utilisé.

On ne connaît pas a priori le médicament idéal pour un patient déterminé. Le choix du médicament et de la posologie sont donc individualisés. Néanmoins, certains produits conviennent mieux à un type précis de patient. C’est surtout le profil de toxicité qui conditionne le choix du médicament et constitue le principal critère de sélection d’un antidépresseur.

Enfin, diverses études récentes suggèrent que le stress chronique ou un taux élevé de certaines graisses (cholestérol total, sphingolipides, céramides) pouvant provenir de l’alimentation favorisent le développement de la dépression. Par opposition, la diète méditerranéenne ou un régime nutritif bas en graisses ont un effet protecteur contre la dépression.

En résumé, le mode de vie et la nutrition ont une influence certaine sur les risques de dépression.

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