Les oubliés de la Semaine du français

par Françoise Miquet

Activités créatives ou ludiques, dictées de groupe, tables rondes, tombolas… La Semaine du français s’accompagne d’effervescence. L’Université de Montréal n’est pas en reste, ni ses syndicats, ni ses associations étudiantes. Une semaine de plaisir… pour une année de souffrance ?

Les difficultés liées à la maîtrise de la langue – et pas seulement à un niveau « universitaire » – deviennent un sujet tabou dans un contexte où, contrairement à ce que clament les esprits chagrins, dit-on, le niveau se serait globalement amélioré au Québec. Certes, nous ne voulons pas être associés au clan des pleureuses qui, comme le faisait déjà Socrate au 5e siècle avant notre ère, clamait que les étudiants n’étaient plus ce qu’ils avaient été.

Pour éviter d’enfoncer des portes ouvertes, écartons d’entrée de jeu les mastodontes idéologiques de la « question de la langue au Québec » et du « rôle de la Francophonie dans le monde ». Contentons-nous d’examiner deux aspects pragmatiques, observés de façon empirique au sein de notre université (comme dans d’autres) : la souffrance liée à l’emploi de la langue écrite, et la difficulté de l’accès à une maîtrise suffisante pour exercer la réflexion critique inhérente à des études universitaires.

Apprendre à écrire une langue ne se fait pas par osmose. La cohorte d’élèves du primaire ayant appris la grammaire sur les murs de la classe en sait quelque chose. Le plaisir de la maîtrise est précédé d’une certaine dose de souffrance liée aux efforts intenses qui sont nécessaires pour l’acquérir. Or, le fait que cette souffrance perdure chez bon nombre d’adultes dont l’emploi comporte des tâches de rédaction – ce qui est le cas de nombreux employées et employés de soutien de l’Université – révèle un malaise. La grammairienne et chercheuse Suzanne G. Chartrand a lancé dans la revue Liberté, puis dans Le Quorum), un cri d’alarme sur l’enseignement du français à l’école secondaire, dont les déficiences ont un effet en cascade.

La maîtrise de la langue : écueils et souffrance

Le sondage « La langue française dans nos classes » que le SCCCUM a organisé en novembre 2014 a confirmé que le malaise se retrouve aussi chez une proportion non négligeable des étudiants, au point où la capacité à structurer des idées devient problématique (pour lire les articles parus à la suite du sondage : Le Quorum Printemps 2015, affiché sur notre page d’accueil). Ces problèmes, nous ont confié des collègues de divers départements, sont observés chez les étudiants francophones comme chez les allophones – avec la différence que ces derniers, en plus des difficultés liées aux études elles-mêmes, sont souvent aux prises avec l’installation en terre d’accueil et la recherche ardue d’un premier emploi. Dans certains cas, le fait que les apprentissages culturels et linguistiques encore en cours freine la compréhension fine des textes, surtout ceux qui sont très chargés en connotations culturelles ou en informations implicites. Par ailleurs, on assiste à certaines aberrations administratives : comment est-il possible que des étudiants à la maîtrise soient encore en train d’apprendre à écrire le français, et parfois pas même à un niveau avancé?

Certes, l’exigence de réussite est forte. Pour obtenir l’aide financière du gouvernement, il faut étudier à temps plein ; et les crédits, clés pour le diplôme et donc sésame pour l’emploi, doivent être acquis le plus rapidement possible. Sous cette pression intense, la valeur éthique des importantes considérations sur le plagiat, pourtant clairement affichées sur le site de l’UdeM et (c’est à espérer) abondamment réitérées par les enseignant(e)s, ne pèse pas lourd.

Ainsi, des étudiants en mode survie vont chercher des textes liés aux thèmes de leurs travaux et en reprendre des phrases à peine modifiées, sans citer la source. Pratique moins plagiaire sur le fond, mais dévastatrice pour la maîtrise active de la langue, certains (allophones ou francophones), grâce à des recherches par mots clés, trouvent des morceaux de phrases toutes faites qu’ils raboutent pour faire des phrases complètes – pas forcément compliquées, mais qu’ils ne se sentent pas capable d’écrire eux-mêmes. Quel pourcentage d’étudiants procède ainsi ? Difficile à dire, mais lorsque la question fut posée à une classe de 25 apprenants de niveau avancé, un seul a levé la main pour dire qu’il ne recourait pas à cette pratique et les 24 autres ont confirmé que, pour eux, écrire était une épreuve permanente.

Google Translate, que la déferlante des controversés Google Books, en alimentant le web en centaines de milliers de textes de qualité, a rendue nettement plus efficace. Sans oublier les fonctions de correction automatique omniprésentes : le logiciel de traitement de texte suggère une liste de mots à chaque erreur détectée !

Camouflage et plagiat sous pression

Il y a donc, du moins les premières années, lorsque la taille du groupe-cours est importante, une possibilité de camoufler ses difficultés en français. Ce n’est pas acceptable dans un établissement universitaire. Et qu’on ne nous parle pas d’un soi-disant élitisme : il ne s’agit pas de comprendre Derrida à la première lecture ni d’écrire en registre soutenu. Il s’agit de maîtriser suffisamment la langue pour être capable de comprendre non seulement des concepts abstraits, mais aussi et peut-être surtout le contexte socioculturel dans lequel on évolue, les enjeux sociétaux et politiques auxquels l’on participera. Il s’agit aussi d’acquérir une intelligence du texte propre à nourrir la pensée critique, sans laquelle une institution de savoir perdrait sa raison d’être.

L’instance universitaire responsable de ce volet, le Comité sur la politique de la langue française de l’Université de Montréal, ne s’est pas réunie depuis deux ans. Bien que la Faculté des arts et sciences ait participé au financement du sondage réalisé par des spécialistes à l’initiative du SCCCUM, il n’y a pas eu d’analyse fine ni de suivi de la part de l’Université. Le seul suivi a été assuré par le SCCCUM dans les pages du Quorum.

La transformation institutionnelle en cours (voir autre article de cette infolettre à ce sujet) comportera-t-elle dans sa réflexion l’importance d’une réelle maîtrise du français – non pour discriminer les personnes, mais pour les inclure.