Les discriminations systémiques : un enjeu syndical !

Michaël Séguin et Carole Yerochewski

Le 20 mars dernier, le SCCCUM organisait une Soirée Bulles sur le thème : « Diversité et non discrimination, ça me concerne ! ». État des lieux des formes de discrimination raciale à l’Université et des pistes pour agir, collectivement, en s’appuyant sur les chartes québécoise et canadienne des Droits de la personne.

La lutte aux différentes formes de discrimination systémique est un sujet-vedette à l’heure actuelle, y compris au Conseil central du Montréal métropolitain de la CSN qui a pris position sur le sujet en octobre dernier. Certains se demanderont probablement pourquoi le comité exécutif du SCCCUM a retenu un tel sujet pour une Soirée Bulles, tant il est facile de croire qu’un espace dit éclairé comme l’UdeM en est exempt. La réponse est double : d’une part, nous sommes conscients que certains membres de notre syndicat vivent des situations de discrimination en raison de la couleur de leur peau, de la sonorité de leur accent, de la forme de leur tenue vestimentaire ou, plus largement, de leur appartenance à une culture qui n’est pas dominante. D’autre part, nous savons qu’il n’est pas nécessaire d’avoir des intentions racistes pour qu’il y ait effectivement discrimination directe, indirecte ou systémique. À l’Université de Montréal, comme dans toute institution de la société québécoise, certaines catégories peuvent se retrouver avantagées.  C’est donc moins par effet de mode que par souci d’inclusion de l’ensemble des membres que nous avons choisis de nous attaquer à cette question — enfin ! diront certains, et avec raison.

La Soirée Bulles du 20 mars visait donc à prendre la question à bras le corps en se demandant : comment fonctionne cette discrimination à l’Université de Montréal ? Qui en est victime au sein du membership du SCCCUM ? Comment le syndicat peut-il avoir une attitude proactive sur le sujet ? Trois personnes-ressources nous ont guidés dans cette exploration à laquelle ont participé une quinzaine de membres : Lucie Lamarche, juriste et professeure au département de sciences juridiques de l’UQAM, Celia Rojas-Viger, médecin, anthropologue et chargée de cours au département d’anthropologie de l’UdeM, et Eliana Sotomayor, travailleuse sociale et chargée de cours à l’École de travail social de l’UdeM.

Tout d’abord, comme le relevait Me Lamarche, le racisme systémique est une histoire d’exclusion intimement liée au fonctionnement des institutions[1]. Pour le détecter, il faut d’abord tenir un décompte statistique du traitement différentiel réservé à différents groupes d’individus. Observer, par exemple, les cours versés à la réserve dans un département et constater que, malgré la présence d’étudiants racisés[2], aucun d’eux n’obtient jamais une charge de cours hors affichage[3]. Ou encore, décompter, selon le sexe, la citoyenneté ou l’appartenance à une minorité visible, qui obtient la probation comme chargé-e de cours et constater que les personnes d’origine étrangères ou racisées sont systématiquement recalées. Le décompte statistique est le premier outil pour faire apparaître les données pertinentes et le SCCCUM pourrait en construire un ou demander à la direction universitaire de l’organiser.

En règle générale, déjouer les discriminations systémiques implique pour les syndicats d’être proactifs sur le sujet ; donc porter un regard systémique sur leur environnement et s’assurer que leur contrat de travail soit en adéquation avec les chartes. Le syndicat doit ainsi sortir de ce que Me Lamarche a appelé la « culture du grief », qui consiste à recevoir des plaintes, et seulement quand celles-ci entrent dans les catégories prévues à la convention collective. Trop souvent encore, nous avons tendance à opposer les droits collectifs du travail aux droits prévus par les chartes québécoise et canadienne, qui sont dorénavant inscrits dans la Constitution, et qui ont préséance sur les conventions collectives. Par exemple, la lutte contre le racisme systémique ne passe pas après la règle de l’ancienneté quand l’ancienneté ne peut être acquise faute de bénéficier d’un traitement équitable.

À ce propos, la trajectoire migratoire de la Dre Rojas-Viger a permis d’entrevoir une partie des multiples obstacles qui attendent une immigrante pourtant déterminée à faire sa place. Diplômée en médecine au Pérou en 1975, elle immigre peu de temps après au Québec pour suivre son conjoint. Elle entame en 1977 le processus de formation d’équivalence et d’internat nécessaire pour être reconnue comme médecin ici (alors qu’elle pratiquait déjà la médecine dans son pays natal). Comme on lui demande une expérience de pratique, Dre Rojas-Viger décide de retourner au Pérou en 1982 pour soigner les civils dans un pays en pleine guerre civile et enseigner la médecine. De retour au Québec en 1987, son expérience n’est pas reconnue. Face à l’opacité du Collège des médecins qui ne dévoile ni combien de postes sont disponibles pour les médecins immigrants ni combien ont passé les examens, elle soutient en 1989, puis en 1994, une grève de la faim des médecins immigrants. Elle se rend compte alors de la détresse occasionnée et que ce qu’elle vit n’est pas un cas isolé. Elle mène une recherche à ce sujet et montre que plusieurs médecins immigrants ne peuvent passer les examens. Dre Rojas-Viger décide quant à elle de se reconvertir. Elle obtient un doctorat en anthropologie en 2005. C’est ce parcours de combattante qui la mène finalement à devenir chargée de cours et chercheure. Mais encore comme chargée de cours, elle a dû affronter de la discrimination. Mais cette fois, le SCCCUM a été là pour la soutenir.

Cependant, il est arrivé à plusieurs reprises que des chargé-e-s de cours discriminées n’osent pas se plaindre, et n’en parlent même pas, quittent l’université, parce que ce sont eux ou elles qui ont honte de ce qui leur arrive, a souligné Mme Sotomayor à cette soirée Bulles. Elle a indiqué que quatre principaux motifs s’articulent pour enfermer les personnes racisées dans un processus de discrimination systémique : la non-reconnaissance des diplômes — sachant que les diplômes délivrés dans des pays comme l’Amérique Latine ou l’Afrique sont systématiquement dévalorisés ; la non-reconnaissance de l’expérience professionnelle acquise hors du Québec et du Canada ; la dévalorisation des qualifications ; enfin, la langue qui, lorsqu’elle n’est pas parfaitement maîtrisée, alimente une discrimination linguistique. Le tout aboutit à ce que les personnes racisées soient plus souvent dans des situations de pauvreté faute de décrocher les emplois et d’obtenir les rémunérations correspondant à leurs qualifications.

Cependant, combattre les différentes formes de racisme et de discrimination, et permettre l’accès équitable à ces biens rares que sont des postes permanents implique, selon Mme Sotomayor, de cesser de voir l’intégration sociale comme un processus unidirectionnel. Il faut au contraire envisager l’intégration comme un processus réciproque où le groupe majoritaire tout autant que les groupes minoritaires se laissent transformer l’un l’autre. Ainsi, s’il y a définitivement un aspect légal à la lutte contre les discriminations systémiques, il y a inévitablement un aspect de transformation sociale de nos structures, c’est-à-dire des règles et des schémas culturels qui régissent nos institutions et nos départements universitaires au quotidien, pour les rendre plus inclusifs. C’est pourquoi Mme Sotomayor proposait de former un comité syndical visant à renforcer les droits des minorités. Ce comité permettrait simultanément de retracer de possibles manifestations de discrimination systémique dans le but de mettre le comité de la convention collective sur cette piste, mais aussi d’ouvrir un espace de discussion au sein du SCCCUM – et pourquoi pas à terme sur l’Université – afin de sensibiliser non seulement les personnes chargées de cours appartenant à des groupes minorisés à leurs droits, mais l’ensemble des chargées et chargés de cours aux différentes manifestations que peut prendre le racisme, le sexisme et l’âgisme systémique dans notre université.

[1] La Commission ontarienne des droits de la personne affirme que « La discrimination systémique découle de politiques, pratiques et comportements qui font partie des structures sociales et administratives de l’organisation et dont l’ensemble crée ou perpétue une situation désavantageuse pour les personnes racialisées ». Concernant le marché du travail, Chicha-Pontbriand (1989) l’a transposée ainsi : « une situation d’inégalité cumulative et dynamique résultant de l’interaction, sur le marché du travail, de pratiques, de décisions ou de comportements, individuels ou institutionnels, ayant des effets préjudiciables, voulus ou non, sur les membres de groupes visés par l’article 10 de la Charte [québécoise des droits et libertés]. »

[2] Le terme racisé ne renvoie pas à l’idée qu’il y aurait des races, mais au racisme comme processus d’étiquetage et d’exclusion sociale qui agit comme s’il y en avait.

[3] Tous les exemples rapportés dans cet article émanent de témoignages effectués lors de cette soirée Bulles.