Une Charte qui reconnaît les chargées et chargés de cours

Le projet de loi sur la modification de la charte de l’Université de Montréal devrait être déposé, selon toute vraisemblance, d’ici la fin de la session parlementaire. Si un tel dépôt a lieu et qu’il est accepté par la chambre, il provoquera la tenue d’une commission parlementaire. Il est probable que cette commission tienne des audiences permettant aux parties intéressées de s’exprimer, auquel cas le SCCCUM y participera pour faire entendre la voix des chargés de cours.

Les propositions de modification à la charte de l’Université de Montréal ont suscité bien des remous au sein de la communauté universitaire, remous compréhensibles étant donné l’importance de la charte elle-même, un document qui fixe tant la mission de l’université que la composition de ses organes décisionnels les plus importants : le Conseil de l’Université, la Commission des études et l’Assemblée universitaire. Ces remous se font encore sentir alors que celle-ci entreprend son dernier droit, celui de la présentation à l’Assemblée nationale.

Pour comprendre comment il se fait qu’on se retrouve en commission parlementaire, il faut savoir que la « charte » est une loi du Québec, loi dite « privée » qui décrit la composition et les mandats des grandes instances de l’Université. Toute modification, comme c’est actuellement le cas, doit faire l’objet d’un projet de loi déposé à l’Assemblée nationale par un ou une député-e, puis adopté par la chambre.

Mais l’aventure de la charte ne commence pas ici. En fait, c’est depuis un peu moins d’un an que le projet de modifications à la charte est sur la table. Annoncé par le recteur dans son allocution de décembre 2016, c’est à partir de janvier 2017 que l’Assemblée universitaire se penche sur la question. Un mot est de mise ici sur l’Assemblée universitaire, une instance collégiale, importante et démocratique, particulière à l’Université de Montréal1. À tout prendre, il s’agit d’un vaste forum réunissant plus d’une centaine de membres de la communauté universitaire, recteur, vice-recteurs et doyens bien sûr, mais aussi professeurs élus — qui, d’après une des modifications proposées à la charte, en constitueront au moins la moitié — étudiants, employés, ainsi qu’une quinzaine de chargés de cours. L’assemblée a joué un rôle majeur dans le processus actuel de modification. Elle a obtenu un report des délais que le Conseil voulait imposer; elle a débattu de chacune des propositions du Conseil, accepté certaines, refusé d’autres et formulé ses propres recommandations.

Devant la grogne suscitée par la décision inattendue de modifier la charte et le calendrier extrêmement court proposé par le rectorat, le Conseil a reculé et accepté de déposer le projet de loi en vue de la session parlementaire de l’automne 2017, plutôt qu’à celle de l’hiver 2017. Les débats sur les modifications à la Charte se sont ainsi déroulés à l’Assemblée universitaire sur 6 rencontres, entre le 23 janvier et le 10 avril 2017, alimentés en partie par le travail de réflexion mené par le CEPTI2. Ils ont porté dans un premier temps sur des points non litigieux (le retrait des représentants ecclésiastiques au Conseil par exemple), puis sur ceux exigeant discussion (notamment la composition du conseil de l’Université, la composition et les pouvoirs, généraux et disciplinaires, de l’Assemblée universitaire).

Lors de ces débats, le SCCCUM n’a pas opté pour la « politique de la chaise vide ». Cela, parce que notre absence n’aurait fait qu’ajouter à la quasi invisibilité dans laquelle sont forcés d’œuvrer les chargés de cours et aurait avalisé l’opinion selon laquelle ils ne comptent pas quand vient le temps de discuter du texte qui fonde la mission de l’Université. Cela aussi pour préserver notre indépendance et parce que l’Assemblée universitaire demeure, malgré ses imperfections, la seule instance où une forme de collégialité large s’exerce.

Le débat portant sur les pouvoirs de l’Assemblée universitaire a été nourri. Une modification proposée, qui aurait limité les pouvoirs de l’AU aux seules dimensions académiques, a suscité une vive opposition. Suite au débat, la proposition de modification a été retirée et l’article est demeuré tel quel, à savoir que l’assemblée « énonce les principes généraux qui président à l’orientation de l’université et à son développement », étant compris par ailleurs que chacune des instances supérieures exerce ses pouvoirs sous réserve de ceux des autres.

Un autre point débattu a été la question du comité de discipline. Une proposition de modification visait à faire de la discipline une prérogative du Conseil, alors que, à l’heure actuelle, l’exercice de la discipline s’effectue — pour les professeurs et chargés de cours d’une part, les étudiants de l’autre — par le biais d’un comité de pairs qui relève de l’Assemblée universitaire. Pour comprendre, il nous faut remonter en 2013, lorsque des membres de l’AU ont mis en cause la création, par le rectorat, d’un comité de discipline relevant de la direction; la décision rendue en 2015 par la Cour supérieure a jugé le comité mis sur pied par la direction non conforme à la charte. Sur cette question, la position du SCCCUM a été le maintien d’un comité de pairs enseignants, du moins pour les situations de nature académique, un tel comité permettant une plus grande souplesse dans le traitement des cas. Parallèlement aux travaux de l’AU, le rectorat a amorcé des discussions avec le SGPUM sur cette question3, discussions qui n’ont pas encore abouti.

L’un des points litigieux (et qui l’est encore) concerne la participation de membres dits « indépendants » au Conseil de l’Université. Bien que certains justifient leur présence par le fait que l’Université est une institution financée à 75 % par des fonds publics (Allaire, 2017), la clause voulant qu’ils comptent pour plus de la moitié et moins des deux tiers du Conseil est préoccupante. Sur ce sujet, la volonté du SCCCUM, maintes fois exprimée, a été de s’assurer que ces administrateurs ne proviennent pas uniquement du milieu des affaires. Ainsi nos représentants ont-ils appuyé une recommandation du CEPTI à l’effet que ces administrateurs externes soient issus d’une diversité de groupes socioprofessionnels sur le modèle des conseils d’administration du réseau de la santé. Sur cette question, l’absence de professeurs proches du SGPUM qui auraient pu faire pencher la décision s’est fait sentir. La formulation retenue, à savoir que « La désignation des membres indépendants vise à refléter la diversité de la société et à assurer les compétences », demeure beaucoup trop floue.

Un aspect crucial pour les chargés de cours dans les débats sur la charte est la question de leurs droits politiques au sein de l’Université. Le 1er février 2017, le Conseil syndical du SCCCUM réitérait l’importance de poursuivre ses efforts pour assurer une meilleure représentation des chargés de cours aux instances de l’Université, une demande de longue date du SCCCUM4. À cet égard, les modifications proposées constituent un gain pour les chargés de cours. Le principe de la représentation des chargés de cours par faculté à l’Assemblée universitaire, qui était inscrit dans les statuts, se retrouve maintenant dans la charte; un poste est prévu explicitement pour les chargés de cours au Conseil de l’Université et deux postes sont prévus pour les chargés de cours à la Commission des études. Si les nombres changent peu par rapport la pratique actuelle, c’est au plan symbolique, celui d’une reconnaissance de la présence et de la contribution des chargés de cours que ces modifications sont critiques. Le remplacement de la vieille expression « membre du personnel enseignant qui n’est pas professeur de carrière », partout où elle apparaissait, par « chargé de cours », constitue une véritable modernisation de la charte.

Ces premiers gains demeurent toutefois à compléter par le travail sur les statuts de l’Université. L’interprétation de la notion de chargé de cours à l’article 1.0 de la charte se lit en effet comme suit : « Chargé de cours : tel que défini dans les statuts ». Le travail à ce sujet va bon train. Le Conseil syndical du SCCCUM, réuni le 31 octobre dernier, a débattu de la définition et des recommandations qui seront déposées devant le Groupe de travail en vue de la refonte des statuts le 22 novembre prochain. Nous vous reviendrons à ce sujet dans une prochaine Infolettre.

Pour l’heure, le projet de loi qui constitue la charte de l’Université de Montréal a été examiné par les juristes de l’État et doit être soumis à l’examen d’une Commission parlementaire. Il est fort probable que l’Assemblée nationale tienne des audiences à l’occasion de cette commission. Si tel est le cas, le SCCCUM y participera pour défendre la vision des chargés de cours.

Françoise Guay
vice-présidente à la Vie universitaire
avec la collaboration de Frédéric Kantorowski, David Lewis, Michaël Séguin et Pierre G. Verge

 

1 Au Québec, les autres universités n’ont que deux instances : un conseil d’Université et une commission des études.
2 Le Comité d’étude du projet de transformation institutionnelle, un comité de l’Assemblée universitaire qui a été mis sur pied en 2016, et dont le mandat a été prolongé pour assister l’AU sur ces questions.
3 Le Syndicat général des professeurs et professeures de l’Université de Montréal; leur convention collective comporte une clause sur cette question.
4 Il s’agit d’une demande récurrente du syndicat depuis 2012, réitérée dans le mémoire, Les chargés dans cours dans l’université de l’avenir, déposé par le SCCCUM au printemps 2016.